Avant-propos à la suite de ma série estivale sur l'apprentissage de la lecture et l'écriture expressive.
Vous trouverez ci-dessous le texte intégral de la préface rédigée par Pierre Clarac, inspecteur général de l'enseignement du second degré, qui dirigeait chez Belin la collection "la classe de Français" dans les années 20.
On y retrouve la même volonté de proposer une pédagogie active et ludique, même si ce dernier terme n'est pas employé. Notre inspecteur relève combien l'ouvrage que nous allons étudier "a été conçu en vie d'éveiller la curiosité et le goût de l'enfant, de stimuler et de soutenir son effort" (...) "Le professeur dirige la recherche, mais tous y participent. Les questions orales étant coupées d'exercices écrits très courts, aussitôt corrigés".
Laissons maintenant la place aux deux auteures (oui, ce livre est l'oeuvre de deux institutrices) qui s'adressent directement à leurs élèves :
"En lisant ce livre, vous vous représenterez tour à tour bien des choses diverses un bateau qui fuit devant la tempête dans Pêcheurs d'Islande, New York (...), la couleur des premières violettes, l'enroulement d'un coquillage...."
"Décrire, c'est rendre présent à l'imagination d'un lecteur des paysages, des objets, des personnages, des scènes qu'il n'a pas réellement devant lui, c'est essayer de les recréer avec des mots"
"Mais un même tableau, évoqué par des écrivains différents, prend des aspects différents. (...)
Chacun de nous a sa façon propre de voir et de sentir, d'être intéressé par les apparences des choses,d'en remarquer, d'en préférer, d'en noter certains aspects plutôt que d'autres. Décrire, c'est donc aussi présenter sa vision personnelle de la réalité même si l'on croit s'être contenté de noter tout simplement ce qu'on observe".
Préface de B. Cognet et M. Janet, "La classe de français", Apprendre à écrire, 1ère partie les sensations, Classes de grammaire et cours complémentaires
650 000 exemplaires de "L'illustration" sont édités et vendus en 1929, à une date assez contemporaine de la parution de la 1ère édition de ce manuel scolaire Ce fort tirage illustre l'attrait pour cette information qui permet d'accéder à des reportages sur des pays lointains, de nouvelles découvertes technologiques ou scientifiques, des expéditions.... Mais aussi, sur des guerres proches ou lointaines.
L'illustration, comme son nom l'indique, dispose d'une iconographie remarquable, qui alterne gravures et photographie, dès que ce média est disponible. Pour autant, le texte et son pouvoir évocateur est tout aussi important pour appréhender le monde extérieur par ce seul média : un illustré.
Quelques uns des commentaires de mon post précédent sur "Que lisait-on à 9 ans il y a 100 ans ?" s'inquiète de voir qu'une partie des auteurs cités ne fassent plus partie de la liste de lecture des enfants contemporains.
Pour autant, dans ce début du XXIème siècle, l'édition jeunesse ne s'est jamais aussi bien portée. Et n'allez pas croire que c'est une sous-littérature. Des auteurs contemporains comme Yves Grevet par exemple renouvelle le genre dystopique sans rien concéder à la langue française.
Donc oui, on lit sans doute moins de récits d'enfance datés du XIXème siècle. On lit probablement moins souvent l'ensemble des Jules Verne (j'en ai relu une demi-douzaine récemment, il faut quand même avoué qu'ils sont inégaux). Mais peut-on pour autant dire qu'on est moins cultivé, quand on passe des heures entre mangas (certains sont excellents), livres de jeunesse, podcast, jeux vidéo (rien de mieux pour comprendre la stratégie de conquête qu'un bon Civilization) et autres vlog et chaîne you tube ?
Bien entendu, il y a de tout dans ces nouveaux média, y compris du pire mais n'oubliez pas qu'il n'y avait pas que du bon dans les illustrés jeunesse, même il y a 100 ans !
La culture change et avec elle les média qui la véhicule. Chaque génération de parents, dépassés par les moyens d'information de leurs enfants, s'inquiète qu'ils ne disposent pas de la même culture "classique" que leurs parents. C'est aussi vieux que les témoignages sur l'éducation ;)
En revanche, l'écrit est et reste un média qui permet d'appréhender un point de vue personnel et de s'en détacher sans doute plus facilement qu'avec un film qui s'appuie davantage sur l'émotionnel. Pour développer un esprit d'analyse et critique, il est essentiel d'apprendre à décortiquer et reproduire pour garder une capacité à prendre de la distance et à être capable de jugements personnels.
"Former des citoyens capables d'exercer leurs droits" était et est toujours un des objectifs majeurs de l'enseignement en France, qu'il soit primaire, secondaire ou supérieur. Face à la massification des études et le sous-investissement, certains responsables politiques ont pu parfois privilégier l'efficacité et l'opérationnalité (former des travailleurs prêts à travailler) mais ils ont un horizon bien court.
Demain étant incertain, c'est bien de
la capacité d'analyse, d'esprit critique mais aussi d'intelligence émotionnelle dont nous devons savoir doter nos enfants. Et je crois, que, bon an, mal an, l'institution scolaire y parvient pas si mal.
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